M.A.
Von der Leyen
N. TUCAT AFP
L'annulation historique de la présidentielle roumaine a marqué les esprits, laissant planer, dans toute l'Europe centrale, le spectre d'une ingérence de Bruxelles dans les processus électoraux nationaux. Selon un sondage de l'Observatoire des médias numériques d'Europe centrale (CEDMO), les Tchèques craignent aussi bien une ingérence russe qu'européenne lors de prochaines élections. Un sentiment partagé par les Slovaques, mais un peu moins par les Polonais.
Lors de l'élection présidentielle roumaine de 2024, le premier tour, tenu le 24 novembre, a été marqué par la victoire inattendue de Călin Georgescu, candidat de droite, jugé trop prorusse, devant la centriste proeuropéenne Elena Lasconi. Peu après ce résultat, la Cour constitutionnelle, saisie sur la base de plusieurs recours et de nouveaux documents déclassifiés par le ministère de l'Intérieur, a annulé à l'unanimité le scrutin le 6 décembre. Les juges ont estimé que de graves irrégularités, notamment une opération de manipulation sur TikTok soutenant Georgescu et de vastes actions de cyberacteurs, avaient faussé la sincérité du vote et l'égalité des chances, ce qui a conduit à ordonner la reprise totale du processus électoral.
L'UE inquiète autant que la Russie
Cette décision exceptionnelle, quasiment sans précédent en Europe, a eu un effet de séisme politique en Roumanie. Elle a alimenté les tensions et les contestations : Călin Georgescu et ses partisans ont dénoncé un "coup d'État". Le président sortant a finalement démissionné sous la pression d'une motion de destitution, et le vainqueur du premier tour a été interpellé puis longuement entendu par le parquet. Callin Georgescu a été inculpé et placé sous contrôle judiciaire, interdit de quitter le pays et d'utiliser ses réseaux sociaux, ce qui l'a empêché de se représenter à la présidentielle reprogrammée au printemps 2025.
Cet épisode a rapidement nourri une méfiance profonde envers l'Union européenne, certains opposants affirmant que Bruxelles aurait, de manière plus ou moins directe, influencé la décision d'annuler l'élection pour empêcher la montée d'un leader jugé trop critique vis-à-vis de l'UE. L'Union européenne a essuyé de nombreuses critiques, à l'image de celles de Washington et du vice-président des États-Unis, JD Vance, qui n'a pas mâché ses mots lors d'un discours à Munich.
Mais au-delà des critiques, l'annulation des élections roumaines a surtout suscité une méfiance chez les citoyens de certains États membres, notamment ceux de l'Europe centrale. C'est ce que relève le sondage mené par l'Observatoire des médias numériques d'Europe centrale (CEDMO).
Selon l'institut, les Tchèques considèrent certes une ingérence russe probable à 42 %. Mais une ingérence européenne est la deuxième plus appréhendée avec une probabilité, de leur avis, de 41 %. Les ingérences américaine, allemande ou même transatlantique viennent après, selon ce sondage réalisé entre mars et avril dernier.
Pour les Slovaques, la principale menace reste Bruxelles. Les personnes interrogées estiment qu'une ingérence européenne lors de prochains scrutin a 46 % de chance de se reproduire (contre 39 % en 2024 lors des élections européennes), bien plus qu'une ingérence russe (38 %). Plus que Moscou, les Slovaques sondés craignent surtout les États-Unis (38 %).
Les Polonais moins soucieux pour Moscou
En Pologne, la tendance est différente. Les citoyens de ce pays appréhendent principalement une ingérence de Moscou, probable à 47 %. Toutefois, ce taux est bien inférieur des 63 % enregistrés en 2024. Ils estiment tout de même que les chances que Bruxelles puisse tout aussi bien interférer dans des scrutins locaux sont de 39 %, alors que ce taux était bien plus élevé que chez leurs voisins tchèques et slovaques l'année dernière (54 %). Les Polonais, qui étaient aussi ceux qui estimaient, parmi les trois pays, les chances les plus élevées (31 %) d'une ingérence de Paris, estiment que l'OTAN a 33 % de se mêler de leurs scrutins.
Pour le CEDMO, ces résultats reflètent une méfiance de longue date plutôt qu'une réaction aux récents événements. Plusieurs sujets alimentent des frictions entre Prague et Bruxelles, comme la demande officielle tchèque de reporter l'application du nouveau système européen de quotas d'émission pour les carburants. S'ajoutent aussi des divergences régulières sur la gestion migratoire et la politique de l'UE vis-à-vis d'Israël. "Les personnes interrogées qui considèrent l'ingérence de l'UE comme probable, ont majoritairement soutenu les partis eurosceptiques lors des élections précédentes", explique l'institut. Mais la probabilité pour les Tchèques que Bruxelles influence des votes a tout de même gagné un point entre 2024 et cette année.
La diffusion des résultats du sondage a fait réagir le ministre tchèque des Affaires européennes, Martin Dvořák. Il a rejeté les allégations d'ingérence de Bruxelles, " infondées" et motivées par les "ennemis de la démocratie". "L'UE n'a ni intérêt ni les moyens d'influencer les élections dans ses États membres", a-t-il affirmé. Le gouvernement en veut pour preuve la place d'un groupe de travail sur la cybersécurité pour surveiller les processus électoraux... Difficile de faire moins factuel.